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La disparition de la Bégum-2000-07-12

Date: 
Wednesday, 2000, July 12 - Tuesday, 2000, July 18
Location: 
Source: 
Point de Vue
Author: 
Point de Vue

Depuis quelques années, ses apparitions se faisaient rares, peu à peu la maladie avait altéré sa santé, mais en aucun cas son incroyable port de reine. En mai 1999, elle assistait à l'inauguration d'une statue dressée en son honneur sur la place du village, drapée dans un de ses célèbres saris, le cheveu blanc impeccablement laqué et parée de ses éternels rangs de perles. Fidèles en cela à la mémoire de son mari, l'Aga Khan III, et à la fonction qu'elle a exercée à ses côtés.

" Elle a fait d'un titre un nom propre. " Ainsi résumait-on la grande beauté et la conduite irréprochable d'une femme, qui par son mariage devenait la compagne d'un chef religieux, imam de plusieurs millions d'ismaéliens répartis à travers le monde. Pourtant, rien n'avait préparé Yvette Labrousse à cet emploi. Lorsqu'elle naît à Sète en février 1906, son univers est bien éloigné de celui de l'Aga Khan. Son père conduit des tramways, sa mère est couturière. La jeune fille grandit à Cannes, puis
à Lyon, et son avenir semble tout tracé. A un détail près : Yvette, avec son mètre quatre-vingts, ses yeux de braise et son large sourire, ne passe pas inaperçue. Elle est élue Miss Lyon en 1929, puis un an plus tard Miss France. Le ciel lui sourit, mais il faudra attendre encore quelques années, pour que le destin la distingue véritablement. C'est en 1938, lors d'un voyage en Egypte, qu'elle rencontre l'aga Khan. Il est alors marié à Andrée Carron, troisième épouse et autre Cendrillon élevée au rang de princesse. Fille de restaurateurs d'Aix-les-Bains, elle a conquis le cœur de l'aga Khan en décembre 1929. L'histoire d'amour ne durera pas dix ans. Lorsqu'il croise Yvette, le prince tombe fou amoureux, installe à Cannes, et après avoir obtenu le divorce, l'épouse le 9 octobre 1944. Il a soixante-sept ans, elle a trente-huit.

Contrairement à la princesse Andrée, Yvette Labrousse n'hésite pas à convertir et endosse son rôle de bégum avec zèle. Durant treize années, elle va accompagner son mari dans tous les déplacements que commande sa fonction. Que soit en Inde, au Pakistan ou en Afrique, elle assiste aux grands rassemblements qui fêtent son règne, et plus particulièrement à ces célèbres cérémonies de la pesée, où les fidèles offrent à leur prince l'équivalent de son poids - soit cent neuf kilos - en or, argent, diamants… L'homme est fatigué et malade, mais elle l'entoure d'affection et de dévouement. Les Ismaéliens y sont sensibles, ils devinent la bonté de cette femme qu'ils surnomment Mata Salamat, " Mère de la paix ".

En France aussi, la Bégum charme son entourage. Sa gentillesse et son intelligence ont vite raison des premières réactions de snobisme. Si Louise de Vilmorin a ce mot cruel : " Elle est très grande. Elle sera très bien comme point de repère sur un champ de courses ", le Tout - Paris n'est pas long à l'adopter. Et pour cause : la Bégum est la compagne d'un chef spirituel gentiment exotique, mais elle est également l'épouse d'un des hommes les plus riches de la planète… qui la couvre de bijoux. Ses apparitions aux soirées mondaines restent dans toutes les mémoires. Une richesse qui suscite la convoitise. Le 3 août1949, le couple est pris en embuscade sur la route de Nice et la Bégum est contrainte de se séparer de sa petite mallette à bijoux. Valeur : deux cents millions de francs!

Lorsque l'aga Khan III s'éteint le 11 juillet 1957, la douleur étreint le cœur de la Bégum, mais pas question de tourner la page. Dorénavant, sa vie sera dédiée à sa mémoire. Elle s'installe définitivement dans la villa qu'ils ont baptisée " Yakymour ", contraction d'Yvette Aga Khan et du mot amour. Durant des années, elle y recevra ses amis, les personnalités en villégiature sur la Riviera et, fervente amie des arts, y organisera même des déjeuners avec les vedettes présentes lors du festival de Cannes. Elle y accueillera aussi les petits-enfants de son mari, Karim Amyn, et leur demi-sœur, Yasmin. Depuis quelques années, la fille d'Ali Khan et de Rita Hayworth lui rendait de fréquentes visites. Après avoir perdu sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer, elle savait entourer cette vieille dame de tous les soins nécessaires.

Trois jours après son décès, la Bégum a été inhumée en Egypte, dans le mausolée blanc qu'elle avait fait construire pour l'aga Khan, sur une petite colline à Assouan. Tous les ans, au mois de février, elle y venait en pèlerinage, traversant le Nil à bord d'une felouque, grimpant les nombreuses marches sans effort et déposant une rose rouge sur le marbre blanc du tombeau de son mari. Avec fidélité et en toute discrétion. Qui fleurira aujourd'hui le souvenir de cette femme admirable ?


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